Business / Éco +

Les relations diplomatiques Alger-Paris : entre crises et coopération forcée

Drapeaux français et algérien symbolisant les relations diplomatiques

Les rapports entre l’Algérie et la France traversent actuellement la plus grave crise diplomatique depuis l’indépendance en 1962. Cette tension, qui a atteint son paroxysme en août 2025, révèle les failles d’une relation complexe mêlant héritages coloniaux, enjeux géopolitiques régionaux et questions migratoires.

Une crise sans précédent déclenchée par le Sahara occidental

La rupture a commencé le 30 juillet 2024 lorsqu’Emmanuel Macron a écrit au roi du Maroc pour affirmer que “le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine”. Cette position française, qui rompt avec des décennies d’équilibre diplomatique, constitue un véritable camouflet pour Alger qui soutient les indépendantistes sahraouis du Front Polisario.

L’Algérie a immédiatement réagi en retirant son ambassadeur à Paris et en gelant toutes les coopérations officielles. Pour le président Abdelmadjid Tebboune, cette décision française a été “créée de toutes pièces” et constitue une trahison de la confiance mutuelle.

L’escalade de 2025 : otages et ultimatums

Les “otages” français en Algérie

Deux affaires cristallisent les tensions actuelles. Boualem Sansal, écrivain franco-algérien de 80 ans, a été condamné à cinq ans de prison ferme pour “atteinte à l’unité nationale” après des propos sur l’appartenance historique de l’ouest algérien au Maroc. Christophe Gleizes, journaliste français, purge une peine de sept ans pour “apologie du terrorisme” suite à ses contacts avec des dirigeants kabyles considérés comme séparatistes.

Ces condamnations sont perçues à Paris comme un véritable chantage diplomatique. Emmanuel Macron a d’ailleurs déclaré avoir “confiance dans la clairvoyance du président Tebboune” pour résoudre ces dossiers.

Le tournant d’Emmanuel Macron : “La France doit être forte”

En août 2025, Emmanuel Macron a décidé de durcir considérablement le ton. Dans une lettre au Premier ministre François Bayrou rendue publique, il exige “plus de fermeté et de détermination” face aux “difficultés croissantes” avec l’Algérie. Cette nouvelle posture marque un tournant radical dans l’approche française, validant la ligne dure du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau.

Les mesures de rétorsion réciproques

Côté français

Paris a décidé de suspendre formellement l’accord de 2013 sur les exemptions de visa pour les passeports diplomatiques algériens. Cette mesure, déjà appliquée depuis mai 2025, devient désormais officielle. La France menace également d’activer le dispositif “visa-réadmission” qui permettrait de refuser les visas aux ressortissants algériens si Alger continue de ne pas coopérer sur les expulsions.

Côté algérien

Alger a riposté en dénonçant purement et simplement l’accord de 2013. Plus symboliquement encore, l’Algérie a annoncé vouloir renégocier les loyers des bâtiments diplomatiques français, notamment la Villa des Oliviers (résidence de l’ambassadeur) louée à un franc symbolique depuis 1962.

La question migratoire au cœur des tensions

Le refus algérien de délivrer des laissez-passer consulaires pour ses ressortissants sous OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français) constitue l’un des principaux points de friction. Sur les 250 000 visas accordés aux Algériens en 2024, Paris reproche à Alger de ne pas respecter ses obligations de réadmission.

Cette situation a atteint son paroxysme après l’attentat de Mulhouse en février 2025, commis par un Algérien sous OQTF que l’Algérie avait refusé de reprendre à dix reprises.

Une coopération économique qui résiste

Malgré les tensions politiques, les échanges commerciaux restent substantiels. En 2024, ils ont atteint 11,1 milliards d’euros, même si ce montant est en baisse de 4,3% par rapport à 2023. La France demeure le deuxième fournisseur de l’Algérie après la Chine et son deuxième client après l’Italie.

Les entreprises françaises présentes en Algérie, représentées par Michel Bisac de la Chambre de commerce algéro-française, se veulent rassurantes : “Nous sommes toujours aussi bien accueillis par nos partenaires algériens. Le problème est essentiellement politique”.

Les tentatives d’apaisement avortées

Un bref réchauffement avait eu lieu en mars-avril 2025 après un appel téléphonique entre Macron et Tebboune le 31 mars. La visite du ministre Jean-Noël Barrot à Alger le 6 avril avait même fait espérer une “nouvelle phase” dans les relations bilatérales.

Cet espoir s’est évanoui avec l’affaire de l’influenceur Amir DZ. L’arrestation en France d’un agent consulaire algérien impliqué dans cette affaire a provoqué une nouvelle escalade en avril 2025, avec l’expulsion réciproque de douze agents diplomatiques.

Les enjeux géopolitiques sous-jacents

Cette crise révèle des enjeux géopolitiques plus larges. L’Algérie diversifie ses partenariats avec l’Italie, l’Allemagne, la Chine et la Turquie, réduisant sa dépendance historique envers la France. Parallèlement, Paris renforce ses liens avec le Maroc, créant une rivalité triangulaire au Maghreb.

Pour Brahim Oumansour de l’IRIS, “la crise actuelle met en lumière la complexité et la fragilité des relations franco-algériennes”. Les deux pays restent conscients que leurs intérêts économiques et sécuritaires sont suffisamment forts pour empêcher une rupture totale.

Perspectives : vers une normalisation ?

Malgré la virulence des échanges, aucun des deux pays ne souhaite la rupture complète. Les coopérations sécuritaires contre le terrorisme restent essentielles, et les liens humains entre les deux nations demeurent profonds avec plusieurs millions de Franco-Algériens.

Le président Tebboune continue de considérer Emmanuel Macron comme son “unique point de repère” pour régler les différends, refusant de “tomber dans le capharnaüm politique” français. Cette position laisse entrevoir une possible désescalade, même si le chemin vers une normalisation s’annonce encore long et semé d’embûches.

Conclusion

Les relations Alger-Paris illustrent parfaitement les défis de la diplomatie post-coloniale au XXIe siècle. Entre héritages du passé et enjeux contemporains, les deux pays semblent condamnés à s’entendre malgré leurs différends. La crise actuelle, aussi grave soit-elle, ne pourra probablement pas remettre en cause durablement des liens forgés par l’histoire et consolidés par des intérêts mutuels trop importants pour être sacrifiés sur l’autel des tensions politiques.

GZSD

About Author

Laisser un commentaire

Vous aimerez aussi

Business / Éco +

Qui coûte le plus à l’État : l’immigration ou les aides aux entreprises ? On met les chiffres sur la table

Franchement, quand tu mates les débats à la télé ou sur les réseaux, t’as l’impression que l’immigration, c’est LE problème
Business / Éco +

2008, l’année où tout a vrillé : les vraies conséquences dans la street

Yo, t’as entendu parler de la crise de 2008 ? Ce truc-là, c’était pas juste une embrouille de banquiers à