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Le mythe de l’entrepreneuriat : pourquoi ça marche pas pour tous

On vous a vendu le rêve américain à la française : monter sa boîte, être son propre patron, rouler en Tesla et faire des millions avant 30 ans. Sauf que la réalité, elle est pas aussi sexy que les posts LinkedIn de ton ancien collègue qui se la joue “CEO mindset”.

Alors qu’un million de nouvelles entreprises ont vu le jour en France en 2024, les chiffres parlent : 25% échouent dans les deux premières années et près de 50% n’atteignent pas les cinq ans. Pire, pour les startups, on parle de 80 à 90% de taux d’échec. Pas vraiment le conte de fées qu’on nous raconte sur les réseaux, non ?

Entrepreneur déçu face aux difficultés de son projet
Entrepreneur déçu face aux difficultés de son projet

Les mythes qui nous font du mal

“Il suffit d’une bonne idée pour réussir”

Spoiler alert : non. L’idée, c’est que dalle sans exécution. Selon les données de CB Insights, 35% des startups échouent par absence de besoin du marché. Autrement dit, tu peux avoir inventé la machine à café volante révolutionnaire, si personne en veut, tu peux aller te brosser.

Marc Simoncini le dit cash : “Tout le monde peut y arriver, ça dépend de combien d’échecs vous êtes capable d’encaisser”. Le fondateur de Meetic sait de quoi il parle : avant ses succès, il a morflé. D’ailleurs, sa startup de vélos électriques Angell vient de fermer boutique début 2025 après des problèmes de cadre qui se cassait – 5000 vélos rappelés et 13 millions d’euros de remboursements qui ont coulé la boîte.

“Les entrepreneurs travaillent moins”

Ah, la liberté ! Plus de patron sur le dos ! Sauf que la réalité, c’est plutôt 70 heures par semaine et ton compte en banque qui fait le yo-yo. Demandez à Michel Keriven : son entreprise de robotique placée en liquidation judiciaire fin 2021 l’a mené à l’hôpital avec “des idées noires” tant la pression était forte. “C’est le ciel qui vous tombe sur la tête, je travaillais 7 jours sur 7, j’étais épuisé”, témoigne-t-il.

Mythes vs réalité de l'entrepreneuriat français
Mythes vs réalité de l’entrepreneuriat français

Pourquoi ça foire autant ?

Les causes d’échec sont bien identifiées et récurrentes. Voici ce qui tue vraiment les boîtes :

Principales causes d'échec des startups françaises
Principales causes d’échec des startups françaises

Le financement, ce nerf de la guerre

38% des startups crèvent par manque de thunes. Et contrairement aux States où l’échec est vu comme une expérience, en France, “31% des entrepreneurs n’acceptent pas l’échec, contre 18% des entrepreneurs allemands”. Résultat : difficile de convaincre les banques quand t’as déjà planté une fois.

L’absence de marché

35% des échecs viennent du fait que personne ne veut de ton truc. C’est dur à encaisser mais c’est mathématique : pas de clients = pas de business. Point barre.

La gestion financière catastrophique

Jean-Christophe Menz, ex-patron de Cook&Go qui a fait faillite en 2014, le reconnaît : “manque de trésorerie, turn-over, concentration de trop nombreuses casquettes de son côté”. Quand tu gères tout seul les finances, le marketing, les RH et la prod, forcément, ça déborde.

Les vraies barrières qu’on cache

L’entre-soi social

Parlons cash : l’entrepreneuriat, c’est pas pour tout le monde, et c’est pas juste une question de motivation. Les chiffres de l’INSEE sont brutaux : les enfants de cadres sup ont trois fois plus de chances de se retrouver parmi les 20% les plus riches que les enfants de familles modestes.

Côté grandes écoles, c’est encore pire : 70% des élèves sont enfants de cadres supérieurs, contre 9% issus de catégories socio-professionnelles défavorisées. Résultat, ceux qui montent leur boîte partent déjà avec un réseau, des codes et souvent un filet de sécurité familial.

Yovann Pigenet, qui a monté Delivraide pour aider les étudiants précaires, explique ces marqueurs invisibles : “Quand je parle, à mon débit rapide, on entend que je viens de banlieue. Quand j’entends Timothée parler, je sais qu’il n’a pas grandi en banlieue”. Ces petits détails qui changent tout face aux investisseurs.

Le gender gap qui persiste

Côté femmes, c’est pas la fête non plus. Seulement 12,4% des dirigeants de startup sont des femmes. Et elles démarrent leur parcours entrepreneurial en moyenne deux fois plus tard que les hommes, souvent avec moins de capital initial à cause des inégalités salariales.

Les inégalités sociales dans l'accès à l'entrepreneuriat
Les inégalités sociales dans l’accès à l’entrepreneuriat

La culture française de l’échec-sanction

Contrairement aux États-Unis où l’échec est vu comme une école, en France, c’est encore la honte. Pierre-Paul Zalio, sociologue spécialiste de l’entrepreneuriat, l’explique : “En France, l’échec est souvent vu comme une punition. De nombreux chefs d’entreprise sont issus de grandes écoles […] Ces chefs d’entreprise sont souvent mal préparés à l’échec”.

La French Tech face à la Silicon Valley

Pendant que la Silicon Valley lève 90 milliards au Q1 2025, la French Tech stagne à 1,4 milliards. Le contraste est saisissant. Fabrice Piollet, avocat spécialisé, observe : “Aux États-Unis, dès que l’horizon s’assombrit, l’écosystème a tendance à arbitrer rapidement. Les Français vont au contraire tout faire pour sauver leur entreprise”.

Cette différence culturelle a ses avantages mais aussi ses limites. Quand Masteos, la proptech valorisée 150 millions d’euros, se retrouve en redressement judiciaire début 2024, son fondateur Thierry Vignal avoue : “J’ai parfois levé de l’argent plus par vanité que par rationalité”.

Les secteurs qui trompent

Même sur des marchés porteurs, le succès n’est pas garanti. Barooders, spécialisée dans la seconde main de matériel de sport outdoor, a levé 3,8 millions d’euros avant d’être placée en liquidation judiciaire en 2024. Le marché était là, l’idée bonne, mais l’exécution et la gestion ont foiré.

Pyxo, qui proposait des solutions de réemploi pour la restauration, s’est aussi plantée malgré la loi Agec qui rendait obligatoire la vaisselle réutilisable. Comme le dit Benjamin Peri, son cofondateur : “Le réemploi ne bénéficie pas de la même aura qu’il y a quelques années”.

Alors, que faire ?

Accepter que c’est dur

Premier point : arrêter de romancer l’entrepreneuriat. C’est dur, risqué, et ça échoue plus souvent que ça réussit. Point. Ça veut pas dire qu’il faut pas essayer, mais il faut y aller les yeux ouverts.

Se former sérieusement

Contrairement à ce qu’on voit sur TikTok, monter sa boîte, ça s’apprend. Business plan, gestion financière, étude de marché : tout ça, c’est pas optionnel. 76% des jeunes estiment qu’ils ne sont pas bien préparés lors de leurs études à se lancer dans l’entrepreneuriat.

Construire son réseau (vraiment)

Le réseau, c’est pas juste avoir 5000 contacts LinkedIn. C’est avoir des gens qui croient en toi, qui peuvent t’ouvrir des portes, te financer ou te conseiller. Et ça se construit dans la durée, pas en speed-networking.

Diversifier les profils

Il faut casser les codes. Quelques initiatives émergent, comme les programmes pour entrepreneurs issus des quartiers prioritaires, mais c’est encore marginal. 27 900 euros de mise de départ dans les QPV contre 44 500 euros ailleurs : l’écart est énorme.

Conclusion : l’entrepreneuriat, un privilège déguisé ?

L’entrepreneuriat français a un problème : il se vend comme accessible à tous alors qu’il reste largement réservé à ceux qui ont déjà les codes, le réseau et les moyens. Entre les 90% de startups qui échouent, les inégalités sociales criantes et une culture qui punit l’échec, on est loin du rêve vendu.

Ça veut pas dire qu’il faut abandonner, mais plutôt qu’il faut être honnête sur les défis réels. L’entrepreneuriat, c’est pas juste une question de motivation ou d’idée géniale. C’est un parcours du combattant où les cartes sont inégalement distribuées dès le départ.

Peut-être qu’au lieu de continuer à vendre du rêve, il serait temps de parler vrai. Et de bosser sur un écosystème vraiment inclusif où réussir ne dépend pas de ton code postal de naissance ou du métier de tes parents.

Pour aller plus loin : Retrouve d’autres décryptages de l’économie française sur cadiquoi.com

GZSD

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