Société

Emploi des jeunes : le gouvernement promet du neuf pour septembre… encore ?

Le gouvernement annonce une nouvelle stratégie pour l’emploi des jeunes avec 1,4 million de jeunes NEET en ligne de mire. Mais derrière les effets d’annonce, que cache vraiment cette énième promesse ? Entre mesures recyclées et réductions budgétaires, on décrypte ce qui ressemble à s’y méprendre à un coup de com’ de plus.

Jeunes des quartiers prioritaires à la recherche d'emploi
Jeunes des quartiers prioritaires à la recherche d’emploi

Le gouvernement sort son Xème plan anti-chômage jeunes

En juillet 2025, les ministres Élisabeth Borne, Marie Barsacq et Astrid Panosyan-Bouvet ont présenté au Conseil National pour l’Emploi leur nouvelle “stratégie gouvernementale en faveur de l’emploi des jeunes”. Cette initiative cible spécifiquement les 1,4 million de jeunes NEET (Neither in Employment, nor in Education or Training) de 15 à 29 ans, soit 12,8% de cette tranche d’âge.

La stratégie s’articule autour de trois axes principaux : “mieux orienter, mieux former, mieux informer les jeunes sur les métiers qui recrutent”“renforcer les liens entre les jeunes et l’entreprise tout au long de leur parcours” et “prévenir les ruptures, accompagner les jeunes fragiles, promouvoir des parcours intensifs d’insertion”.

Annonce gouvernementale de la nouvelle stratégie pour l'emploi des jeunes

Parmi les mesures annoncées figurent des ateliers collectifs et entretiens individuels avec France Travail pour les lycéens professionnels en dernière année (dispositif Avenir Pro), la systématisation d’une expérience en entreprise dans les deux premiers mois du Contrat d’Engagement Jeune (CEJ), et le développement de solutions de parcours intensifs pour les jeunes les plus éloignés de l’emploi.

Du déjà-vu déguisé en nouveauté

Cette “nouvelle” stratégie ressemble étrangement à un recyclage de mesures existantes. Comme l’a d’ailleurs reconnu la ministre Astrid Panosyan-Bouvet elle-même : “Ces trois axes ne sont pas nouveaux mais il y a sans doute des marges de progrès sur leur exécution”. Aveu d’impuissance ou simple franchise ? Difficile à dire, mais cela confirme qu’on nous ressert du réchauffé avec une sauce légèrement différente.

Les dispositifs mis en avant existaient déjà : le Contrat d’Engagement Jeune remplace la Garantie Jeunes depuis 2022, les écoles de la deuxième chance et les EPIDE fonctionnent depuis des années, et les partenariats avec les entreprises via le dispositif PAQTE sont actifs depuis 2018. Même la mobilisation de “15 000 entreprises pour les quartiers” était déjà un objectif affiché pour 2025.

Cette approche du “stop and go” budgétaire que dénonce le Conseil d’Orientation des politiques de Jeunesse n’est pas nouvelle. Depuis les années 1980, la France a vu défiler une myriade de plans jeunesse : Plan Avenir Jeunes, Emplois Francs (prolongé jusqu’en 2024 puis non reconduit en 2025), Garantie Européenne pour la Jeunesse, Plan “1 jeune 1 solution”… À chaque changement de gouvernement, sa nouvelle stratégie, mais les mêmes problèmes persistent.

Les quartiers prioritaires : grands oubliés des effets d’annonce

Infographie sur les 1,4 million de jeunes NEET en France
Infographie sur les 1,4 million de jeunes NEET en France

La situation dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) révèle l’ampleur du défi. Un jeune sur quatre (29%) y est NEET, contre un sur huit au niveau national. Ces jeunes cumulent les difficultés : 34% quittent leurs études sans diplôme contre 20% dans les quartiers voisins, et 37% se retrouvent sans emploi trois ans après leur formation initiale, contre 22% ailleurs.

Pourtant, les mesures spécifiquement dédiées aux quartiers restent marginales dans cette nouvelle stratégie. Le dispositif Équip’emploi promet un “accompagnement renforcé à 100 000 demandeurs d’emploi des QPV”, mais sans précision sur les moyens alloués. Les emplois francs, qui avaient montré leur efficacité avec des aides jusqu’à 15 000€ sur 3 ans pour un CDI, ne seront pas reconduits en 2025.

L’alternance, pourtant identifiée comme une voie d’insertion probante pour les jeunes des QPV, reste sous-utilisée. Une étude du Céreq montre que la proportion de jeunes en alternance est moindre dans les quartiers prioritaires, alors que le bénéfice en matière d’insertion professionnelle y est évident. Les revenus supérieurs garantis par l’alternance par rapport à la voie scolaire constituent pourtant un atout majeur pour ces jeunes.

Budget en berne, ambitions en carton

Le plus cynique dans cette énième annonce ? Elle intervient dans un contexte de forte réduction des budgets alloués à l’insertion des jeunes. La loi de finances 2025 programme une baisse de près de 6% de l’enveloppe nationale dédiée aux missions locales, structures pourtant centrales dans l’accompagnement des jeunes NEET.

Cette réduction se traduit concrètement par des licenciements dans le réseau des missions locales. En région PACA, 120 emplois sont menacés, soit près de 10% des salariés. En Auvergne-Rhône-Alpes, la baisse atteint 10% des financements régionaux. Résultat : 350 jeunes de moins pourront bénéficier d’un accompagnement personnalisé chaque jour.

Le Contrat d’Engagement Jeune lui-même subit des restrictions. La diminution de 50% du budget alloué au Parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie (PACEA), passant de 100 millions à 50 millions d’euros, limite drastiquement le nombre de bénéficiaires. Les CEJ sont déjà “rationnés” selon l’UNML, avec des places limitées malgré une demande croissante.

L’échec programmé du Contrat d’Engagement Jeune

Le CEJ, présenté comme la solution miracle, accumule déjà les critiques. Ce dispositif impose aux jeunes “entre 15 et 20 heures d’activité” par semaine pour toucher une allocation pouvant aller jusqu’à 561,68€ par mois. Une logique de contrôle qui prépare l’attribution du RSA à des conditions similaires et limite l’autonomie des professionnels de l’accompagnement.

Pour les jeunes des zones rurales et périurbaines, ces 15 à 20 heures d’activité obligatoires peuvent même devenir un obstacle, nécessitant des déplacements réguliers souvent coûteux. Du côté des conseillers, elles deviennent une modalité de contrôle de leur travail sans améliorer le quotidien des jeunes, chaque activité devant être saisie sur une plateforme interne.

La Cour des comptes, dans son rapport 2025, pointe l’inefficacité de nombreuses mesures pour les jeunes malgré des moyens estimés à 53,4 milliards d’euros par an. Elle regrette la “fragmentation” des politiques jeunesse et leur manque d’efficacité pour réduire les inégalités, appelant à mieux “cibler” et “coordonner” ces politiques.

Une coordination qui fait défaut

L’un des problèmes majeurs identifiés par tous les observateurs reste la multiplicité des acteurs et l’absence de coordination. Missions locales, France Travail, AFPA, régions, communes, associations… chacun agit dans son coin avec ses propres dispositifs et critères.

La création du “réseau pour l’emploi” évoquée dans la stratégie pourrait théoriquement améliorer cette coordination. Mais sans moyens supplémentaires et avec des financements en baisse, on voit mal comment cette coordination pourra s’améliorer. Le référentiel commun de diagnostic socio-professionnel adopté en juillet 2024 reste pour l’instant une coquille vide.

L’Union nationale des missions locales propose depuis longtemps “un accord-cadre national entre le réseau pour l’emploi et l’Éducation nationale”, mais cette proposition reste lettre morte. Chaque institution continue de défendre son pré carré plutôt que de mutualiser réellement les efforts.

Vers une aggravation des inégalités territoriales

Cette nouvelle stratégie risque d’aggraver les inégalités territoriales. Alors que les métropoles concentrent l’offre d’emploi et les dispositifs d’insertion, les territoires ruraux et les quartiers périphériques voient leurs moyens d’action se réduire.

En région Hauts-de-France, 34,1% des jeunes de 15 à 24 ans sont au chômage, contre 27,2% en France métropolitaine. 20% des jeunes y sont NEET, soit 4 points de plus qu’en moyenne nationale. Ces territoires, déjà fragilisés, vont subir de plein fouet les réductions budgétaires.

Les “jeunes invisibles”, ceux qui ne franchissent pas ou plus le seuil du service public de l’emploi, risquent de le devenir encore plus. Les démarches d'”aller-vers” développées dans le cadre des appels à projets “Jeunes en rupture” ont permis de repérer et remobiliser près de 23 000 jeunes, mais ces initiatives restent fragiles face aux coupes budgétaires.

Quand les chiffres contredisent les promesses

Les statistiques disponibles révèlent l’ampleur du défi que cette stratégie prétend relever. En 2021, la France comptait 1,4 million de jeunes NEET, un chiffre qui a augmenté avec la crise du COVID-19 avant de redescendre légèrement. Mais cette baisse cache de fortes disparités : la part de NEET varie de 5,5% aux Pays-Bas à 23,1% en Italie, plaçant la France dans la moyenne européenne sans pour autant être exemplaire.

À 24 ans, 18,3% des jeunes français sont NEET. Cette proportion augmente fortement jusqu’à 21 ans avec les premières sorties de formation initiale (16,5%), révélant les difficultés de transition entre études et emploi. Le système français, qui survalorise le diplôme et la formation initiale théorique au détriment de l’expérience pratique, peine à s’adapter aux besoins du marché du travail.

Le coût économique de cette situation est considérable. En 2011, le coût direct des NEET pour les finances publiques était estimé à 22,2 milliards d’euros. Leur intégration économique pourrait contribuer à une croissance de 0,4 point de PIB selon les économistes.

La politique des quartiers en panne

Analyse critique du Contrat d'Engagement Jeune et de ses limites
Analyse critique du Contrat d’Engagement Jeune et de ses limites

Dans les quartiers prioritaires, les dispositifs spécifiques peinent à inverser la tendance. Malgré les engagements pris par 37 entreprises en 2008 dans le cadre de l’engagement national pour l’emploi des jeunes des quartiers, puis l’élargissement à 8000 entreprises via le dispositif PAQTE, les discriminations liées au lieu de résidence persistent.

L’origine “ethnique” réelle ou supposée et l’adresse continuent de constituer des freins majeurs à l’embauche. Les jeunes diplômés ou qualifiés issus des quartiers subissent massivement ces discriminations dans l’accès à l’emploi, une réalité que les plans successifs peinent à endiguer.

Le dispositif “Quartiers d’été”, reconduit pour 2025, propose certes des activités estivales, mais reste cosmétique face à l’ampleur des défis structurels. Ces initiatives ponctuelles ne peuvent compenser l’absence de politique de long terme pour ces territoires.

Conclusion : du neuf avec du vieux ?

Cette “nouvelle” stratégie gouvernementale pour l’emploi des jeunes ressemble à s’y méprendre à un énième recyclage de mesures existantes habillé d’une communication renouvelée. Trois ministres pour annoncer ce qu’elles appellent elles-mêmes des axes “pas nouveaux”, dans un contexte de réduction drastique des moyens alloués aux structures d’insertion.

Le paradoxe est saisissant : promettre plus d’accompagnement avec moins de moyens, annoncer une stratégie renforcée tout en sabrant dans les budgets des acteurs de terrain. Les missions locales, chevilles ouvrières de l’insertion des jeunes, voient leurs effectifs fondre pendant que les ministres multiplient les effets d’annonce.

Face aux 1,4 million de jeunes NEET, dont un sur quatre dans les quartiers prioritaires, il faudrait une vraie révolution des politiques publiques, pas un énième plan de communication. Tant que la France privilégiera les coups de com’ aux investissements durables dans l’insertion, les jeunes continueront de payer le prix de cette incohérence chronique.

GZSD

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